UNE
POLITIQUE EDUCATIVE A EVALUER…
Note
concernant l’évaluation de la politique éducative
de la
Commune de Cheny (Yonne)
établie dans le cadre de la formation d’attaché
territorial
(ENACT de Nancy)
1. Analyse du problème
1.1. Le
contexte local
Au sein de la troisième
agglomération du Département de l’Yonne, dont les 5 communes et les 15 000
habitants sont regroupés en District, les élus de Cheny et ses 2 579[1]
habitants ont fait de l’éducation une priorité depuis longtemps[2].
La population y est jeune, le
chômage y frappe plus qu’ailleurs. 20% de la population est implantée en
habitat social et très social dans un même quartier.
En concertation avec les communes du District Urbain
de l’agglomération de Migennes, dont elle fait partie, mais aussi par ses
moyens propres, elle a investi pour son futur dans l’éducation scolaire,
péri-scolaire et extra-scolaire à parts égales. Elle bénéficie en outre du
statut de Zone d’Education Prioritaire.
Conséquence logique de ses choix,
Cheny se distingue désormais par une qualité et une quantité d’équipements
sociaux et éducatifs rarement atteintes pour une ville de cette taille (voir
ci-après).L’accès à tous en est rendu possible par une politique tarifaire très
modérée.
La commune dispose d’une
halte-garderie – reconnue dans le cadre d’un contrat enfance de la Caisse
d’Allocations familiales de l’Yonne. Les enfants de 4 à 6 ans sont également
accueillis pendant tous leurs temps de loisirs dans le cadre du centre de
loisirs implanté sur le territoire de la commune et ouverts à tous les enfants
du District urbain.
La commune de Cheny dispose de
trois écoles dotées d’équipements modernes et largement ouvertes au partenariat
local. Les enseignants y privilégient les méthodes actives et la prise en
charge de l’enfant dans sa globalité.
Un R.A.S.E.D[3].
implanté dans des locaux communaux contribue encore à cette prise en charge
L’éducation physique et sportive
s’y pratique dans une salle de gymnastique de premier ordre, dont les écoles ont
la libre disposition.
Les enfants ont accès, pendant le
temps scolaire, à des activités organisées dans le cadre d’un aménagement des
rythmes de vie de l’enfant.
Cet aménagement – axe fort du
Contrat éducatif local - a conduit à la définition d’un horaire d’été et d’un
horaire d’hiver en concertation avec l’ensemble des partenaires concernés, dans
l’objectif de mieux adapter la journée scolaire aux besoins et possibilités des
enfants de la commune.
Des activités diversifiées sont
proposée après le repas, et un accueil éducatif de qualité est organisé le
matin avant la classe et le soir jusque 18 h 45.
Un restaurant scolaire associé à
un centre de loisirs, neufs, volontairement implantés dans un immeuble d’un quartier
d’habitation collectif où vivent 20% des habitants de Cheny, propose aux
enfants le repas, encadré par des animateurs qualifiés, ainsi qu’un cadre
propice tant au repos d’après-repas qu’à des activités variées.
Pendant les vacances et le
mercredi,
L’association des centres de
loisirs, pour le compte du District urbain, propose aux enfants des activités,
un passeport vacances, des camps…
Le Centre aéré du District,
implanté “ au vert ” sur le territoire communal, est ouvert de
manière permanente dans des locaux tout spécialement adaptés aux enfants de
tous les âges.
La bibliothèque municipale,
équipée de nombreux utilitaires, mais aussi de deux postes informatiques
multimédias avec accès à internet et de nombreux CD-ROM accueille également les
enfants et les jeunes après l’école, le mercredi et pendant les vacances.
Par l’ensemble de ces éléments, par les sommes qu’elle y
consacre - près de 30% de son budget de fonctionnement annuel (coûts directs) -
la Commune de Cheny constitue un véritable pôle éducatif. De là, la question de
l’évaluation de cette politique éducative se pose avec d’autant plus d’acuité.
1.2. La
problématique
Compte tenu de sa place centrale
dans la politique communale, la question se pose donc de l’évaluation de la
politique éducative de Cheny.
Cette évaluation paraît
correspondre, dans le contexte local, à plusieurs objectifs
-
rendre compte de l’utilisation faite de l’argent public,
comme l’exigence s’en fait sentir de manière générale, et des choix
fondamentaux effectués par les élus municipaux ;
-
permettre aux principaux acteurs de la commune (élus,
associations, parents…) de confronter analyses et points de vue et ainsi faire
progresser qualitativement et quantitativement l’offre de services éducatifs ;
-
mettre à l’épreuve le consensus local sur les questions
d’éducation pour garder tout son sens aux efforts faits par la collectivité en
la matière. A défaut, les objectifs éducatifs de la commune, construits et
partagés avec les principaux acteurs de celle-ci jusqu’ici, risquent de s’en
trouver dévitalisés, oubliés, banalisés.
L’objectif principal de cette note
est, par conséquent, de permettre à la collectivité d’engager l’évaluation de
sa politique éducative menée depuis vingt ans.
Ceci suppose de rechercher et
mettre en place un certain nombre d’indicateurs
2. Le diagnostic
2.1. Une
part importante des finances de la commune,
dont les
ressources sont très limitées, est consacrée à l’éducation
Le tableau ci-après récapitule
l’ensemble des dépenses directement imputables au secteur éducatif pour la
commune, de 1998 à 2000.
Les dépenses présentées rejoignent
la moyenne des communes françaises, qui se caractérisent par une très forte
disparité : près de 9 000 f par élève pour les grandes villes, mais 6 000
f de moyenne française[4].
Sachant que nous nous trouvons dans une commune de petite taille, la dépense
globale est donc très supérieure à la moyenne. Toutefois, aucune étude assez
fine des comptes communaux des petites villes ne permet d’être plus précis.
Un autre facteur permet toutefois
de confirmer cet élément : le faible niveau des ressources de la commune,
si on le compare aux communes de la même strate.
Le tableau suivant montre
notamment que la taxe professionnelle par habitant est de quatre fois
moindre que pour les communes de la même strate :
Bases d'imposition : comparatif
En francs par habitant (chiffres 98) |
Moyenne des communes 2000/5000 hab. En Bourgogne |
Moyenne des communes 2000/5000 hab. appartenant à un District |
Cheny |
Bases de TH |
4 392 |
4 982 |
4 405 |
Bases de TFB |
3 932 |
4 783 |
3 593 |
Bases de TFNB |
244 |
147 |
96 |
Bases de TP |
11 814 |
12 678 |
3 128 |
Les autres ratios confirment
l’étroitesse des marges de manœuvre financières de la commune :
2.2. Une
politique largement soutenue par les partenaires institutionnels
Le paradoxe présenté – fort
développement des services éducatifs d’un côté, faibles ressources communales
de l’autre – peut s’expliquer par plusieurs facteurs : gestion très
rigoureuse des finances communales, priorités très affirmées, mais aussi par un
soutien constant de la part des partenaires institutionnels de la commune,
notamment de la part de l’Etat et de la Caisse d’allocations familiales.
C’est ainsi que – forte de son
expérience et de ses réalisations – la commune de Cheny a été une des toutes
premières en France à conclure avec l’Etat, en janvier 1999, un Contrat
éducatif local, puis, en décembre 1999, un Contrat temps libres, avec la Caisse
d’Allocations familiales[5].
Ce soutien partenarial hors pair
pour une commune de cette catégorie la conduit également à se doter des outils
d’évaluation nécessaires en vue de rendre compte à ses partenaires des soutiens
apportés.
2.3.
Pourtant, aucun indicateur ne permet actuellement d’en mesurer la pertinence
Force est cependant de constater qu’aucun outil particulier ne permet de rendre compte, sur la durée, de l’efficacité de cette politique, malgré les moyens considérables – relativement aux ressources de la communes – investis sur le long terme.
Les raisons en sont multiples
-
une commune de cette taille dispose de peu de moyens
d’analyse en dehors de ceux qui sont imposés par les nomenclatures et
procédures comptables. Or, rien dans ses dernières ne permet d’isoler
correctement les dépenses d’éducation : la commune n’est pas soumise à
l’analyse fonctionnelle de ses comptes et aucun agent communal ne centralise
les informations qui seraient nécessaires à l’analyse
-
de manière plus générale, les dépenses d’éducation des
communes ne font que très peu l’objet d’études spécifiques, au contraire des
dépenses d’éducation de l’Etat, sur lesquelles les observations abondent. Sans
doute ce secteur de l’action locale est-il encore trop récemment structuré en
tant que tel dans les communes pour être bien intégré dans les outils
d’observation en vigueur. En effet, si les dépenses liées aux écoles sont des
postes de dépenses traditionnels pour les communes, toutes les autres dépenses
liées au secteur extra- ou périscolaire ne sont bien souvent pas consolidées,
car dispersées entre de nombreux services ou secteurs.
-
En matière d’éducation, la pertinence de l’action ne peut se
mesurer que sur la longue durée. Les indicateurs à construire doivent donc être
suivis sur une durée qui excède souvent les périodes habituellement
considérées : un mandat, quelques années… Ceci demande donc une attention
et un travail « hors du commun », au sens littéral du terme.
3. Les propositions
3.1.
Comment évaluer une politique publique ?
On empruntera la typologie
suivante[6]
pour structurer l’évaluation d’une politique publique, et notamment celle de la
politique éducative de Cheny :
Objectif |
Mesure
de |
Rapport
à analyser |
Résultats
à des fins d’évaluation |
Résultats
utilisables dans le pilotage |
1 |
Cohérence |
Réponse publique/Situation
locale |
Facteurs clefs du succès de
l’action |
Adéquation offre/demande |
2 |
Pertinence |
Objectifs/Moyens |
Stratégie développée |
Plan d’action par
objectifs ; résultats dans le temps |
3 |
Efficacité |
Objectifs/Résultats |
Critères d’action |
Suivi des résultats quantitatifs
et qualitatifs |
4 |
Efficience |
Moyens/Résultats |
Coût/efficacité |
Performance comparée des modes
d’action |
5 |
Impact |
Action/environnement |
Effets induits sur la population
et les autres politiques |
Potentialités, Evolution de la
perception de l’action |
3.2. Les
différents types d’indicateurs possibles
Adaptant cette typologie à l’objet
de cette note, le tableau peut être particularisé comme suit :
Objectif |
Mesure
de |
Rapport
à considérer |
Type
d’indicateur à construire |
Type de
mesure à effectuer |
1 |
Cohérence |
Réponse publique/Situation
locale |
-
Indicateur de fréquentation des services éducatifs
non obligatoires -
Indicateur de satisfaction des services éducatifs
rendus |
-
Analyse des statistiques de fréquentation de tous
les services non obligatoires -
Enquêtes qualitatives auprès des bénéficiaires
(enfants/familles) |
2 |
Pertinence |
Objectifs/Moyens |
-
Indicateur permettant de mesurer si d’autres services
éducatifs sont estimés nécessaires |
-
Enquête qualitative auprès de la population, des
enseignants et des animateurs des différentes activités |
3 |
Efficacité |
Objectifs/Résultats |
-
Mesure des effets à long terme sur la
population : réussite scolaire, implication sociale, évolution des
incivilités et de la délinquance |
-
Comparaison statistiques Commune de Cheny/autres
communes de la même strate pour les résultats scolaires et la délinquance -
Enquête qualitative auprès des enseignants -
Enquête qualitative auprès des responsables
d’associations locales -
Enquête qualitative auprès des forces de Police |
4 |
Efficience |
Moyens/Résultats |
-
Mesure des coûts maximum que les familles sont
prêtes à payer pour les services offerts |
-
Enquêtes dans la population sur le coût acceptable
de chaque service |
5 |
Impact |
Action/environnement |
-
Mesure de l’incitation que représente la politique
éducative locale à s’installer à Cheny pour les familles avec enfants -
Mesure de l’incitation que représente cette
politique auprès des entreprises pour s’installer à Cheny |
-
Enquête qualitative auprès des nouveaux habitants -
Enquête qualitative auprès des entreprises faisant
part de leur intention de s’installer à Cheny |
4. Préconisations
Sur la base des données
précédentes, les préconisations suivantes peuvent être avancées
4.1. Quant
aux indicateurs quantitatifs et qualitatifs
Préconisation 1 : des
tableaux de bord permettant de retracer la fréquentation des services éducatifs
sur la durée doivent être établis et tenus à jour (Mesure de cohérence)
Ces services sont :
-
la restauration scolaire
-
les activités d’après-repas
-
les accueils du matin
-
les accueils du soir
-
le centre de loisirs du mercredi
-
le centre de loisirs des petites et grandes vacances
-
la halte garderie
Ces tableaux de bord doivent être
tenus par un agent maniant l’outil informatique, dûment habilité à demander
toute information nécessaires aux divers gestionnaires des services (autres
services municipaux, association organisatrice du centre de loisirs et des
activités péri-scolaires)
Ces tableaux de bord doivent être édités avant chaque
réunion des instances compétentes pour l’évaluation de la politique
éducative : commission municipale enfance-jeunesse et Comité d’évaluation
de l’aménagement des rythmes scolaires (CESARS)
Préconisation 2 : Chaque
année, une enquête générale auprès des familles et des enfants usagers des
services doit être diligentée (Mesure de cohérence et Mesure de pertinence
ex-post)
Cette enquête doit permettre de
mesurer le degré de satisfaction des usagers à l’égard des services, ainsi que
le coût que ceux-ci seraient prêts à assumer pour bénéficier du service
Préconisation 3 : Avant toute
mise en œuvre d’un nouveau service, une enquête d’opportunité auprès des
principaux intéressés (les parents, les familles) doit être effectuée (Mesure
de pertinence ex-ante)
Cette enquête doit notamment
permettre de mesurer le potentiel de fréquentation du service concerné, et
également le coût que l’usager serait prêt à assumer pour bénéficier de ce
service.
Préconisation 4 : Des tableaux
de bord relatifs 1. à la réussite scolaire, 2. à l’implication associative et
3. à la délinquance à Cheny doivent être mis au point avec les institutions ou
organismes concernés. Les chiffres recueillis doivent être comparés à des
statistiques départementales, régionales et nationales issues des communes de
taille comparable (2000/5000 habitants). Ces tableaux de bord doivent être
annuellement analysés avec les acteurs locaux concernés et annuellement
actualisés sans limitation de durée (Mesure d’efficacité ex-post).
Préconisation 5 : Interroger
toute nouvelle famille s’installant à Cheny 1. sur ses besoins en matière de
services éducatifs 2. sur la part que l’existence de nombreux services
éducatifs sur place a pu avoir dans sa décision de s’installer à Cheny (1.
Mesure de pertinence ; 2. Mesure d’impact)
Il s’avère, empiriquement, que
cette part est importante : de nombreuses familles dont les deux parents
travaillent privilégient une installation à Cheny à cause de l’existence de
nombreux services éducatifs de qualité dans la commune. Toutefois, il est
nécessaire de donner la rigueur de l’enquête systématique à cette observation
empirique. La taille « humaine » de la commune le permet tout à fait.
4.2. Quant
à la procédure d’évaluation
Préconisation 6 : Produire
annuellement au Conseil municipal un rapport sur la politique éducative de la
commune, comportant synthèse de tous les indicateurs décrits.
Ce rapport devrait être au
préalable débattu et enrichi au sein
- du Comité d’évaluation de l’aménagement des rythmes scolaires (CESARS), regroupant tous les acteurs de la vie éducative de la commune : représentants des élus, des enseignants, des parents, de l’association organisatrice des activités péri- et extra-scolaires
-
de la commission municipale enfance-jeunesse, qui prépare
les décisions du conseil municipal
-
du groupe de pilotage du Contrat éducatif local, comprenant
en sus les services de l’Etat et la Caisse d’allocations familiales de l’Yonne
Il devrait faire l’objet d’un
débat en conseil municipal avant le début de la procédure budgétaire (soit
entre septembre et décembre) et comporter toutes indications permettant
d’intégrer les mesures ou les investissements envisagés dans le budget en
préparation.
Il devrait être communiqué
-
à la presse
-
aux principales associations locales
-
aux services de l’Etat (Inspection d’Académie et Direction
départementale de la Jeunesse et des Sports, pour la partie extra-scolaire),
partenaires du Contrat éducatif local
-
à la Caisse d’allocations familiales de l’Yonne (CAF),
financeur de nouvelles actions dans le cadre du « Contrat temps libres
signé avec la Commune. »
4.3. Quant
aux moyens nécessaires
Préconisation 7 : Intégrer
dans le plan de charge du Secrétaire général les moyens nécessaires à la mise
en place, puis au suivi des préconisations.
Dans une commune de 2 500
habitants environ, il n’est pas envisageable de spécialiser un service
« Education ». Compte tenu des enjeux financiers, sociaux et
politiques que représente la politique éducative de la commune, il importe
cependant d’identifier dans les services municipaux une fonction correspondant
au suivi de l’ensemble du secteur, tel que décrit.
Compte tenu du fait que cette
fonction doit s’appuyer – au départ au moins - sur un grand nombre
d’informations et de contacts que seul le Secrétariat général de la commune est
en mesure de centraliser commodément, la création d’une mission à quart de
temps directement rattachée à lui serait envisageable (pour un coût d’environ
40 000 francs annuels, dont 60% pouvant être pris en charge par la CAF de
l’Yonne dans le cadre du Contrat temps libres sur les deux prochaines années,
soit 16 000 francs nets annuels à charge de la commune, à rapprocher des 2.169
Millions de francs annuels que représente financièrement ce secteur)..
Cette mission pourrait être
confiée à un personnel statutaire déjà en poste à temps non complet dans la
commune ou au District. Elle pourrait également être confiée à l’association
délégataire des activités extra- et périscolaires de la commune.
Denis QUEVA
Attaché territorial
Secrétaire général de la Commune
de Cheny
jusqu’au 1° octobre 2000.
Décembre 2000
[1] Recensement 1999
[2]
L’actuel maire est arrivé à ce poste en cours de mandat en 1981 et a pris une
part prépondérante dans la mise en place de cette politique. Il a été réélu de
manière continue depuis et cette orientation n’a jamais été remise en cause ni
par le conseil municipal ni par les principaux acteurs locaux
[3] Réseau d’aide spécialisé aux enfants en difficulté
[4] Source « Grandes villes Hebdo » numéro 361, septembre 1999
[5] Un « contrat Enfance » pour la petite enfance existe depuis plus de six ans
[6] D’après Jérôme Dupuis, Maître de conférence associé à l’Université de Toulouse I, séminaire ENACT « Evaluation des politiques publiques locales », 1-3 juin 1999.